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Dossier n°1/mars 2004

De l'adhésion à l'observance thérapeutique : réunir les conditions d'une primo-observance et développer une multiplicité d'interventions dans la durée
Les termes observance, adhésion, concordance voire compliance sont couramment et parfois indistinctement utilisés pour définir "un comportement selon lequel un patient prend un traitement selon une prescription donnée".
Ce dossier présente les définitions et les enjeux stratégiques liés à des termes comme "adhésion" et "observance" et ainsi que leurs implications en termes de pratiques professionnelles et de recherche. Les débats sur ces termes ont eu pour effet d'enterrer définitivement dans le domaine de l'infection par le VIH le terme de compliance jugé comme relevant d'une relation autoritaire entre le médecin et son patient.
Il est l'occasion de présenter le modèle d'intervention MOTHIV* (Catherine Tourette-Turgis et Maryline Rébillon, 2002) qui englobe l'adhésion dans l'observance et propose un point de vue nouveau sur le concept de motivation au soin ainsi que le concept de primo-observance développé par Catherine Tourette-Turgis.

*Modèle de counseling appliqué à l'observance thérapeutique des traitements de l'infection VIH

dossier
120 Ko

 

Catherine
Tourette-Turgis,
Maître de conférences des universités en psychologie sociale de la santé et en sciences de l'éducation
Maryline Rébillon, Psychologue, Directrice de Comment Dire
Lennize
Pereira-Paulo,
Formatrice, Counselor
,
Chercheur en sciences de l'éducation.

 

 

 

 

[1] R.B. Haynes, D.W. Taylor , D.L. Sackett (1979). Compliance in Health Care. Baltimore, MD: John Hopkins University Press (pp 1-15).

 

 

 

 

[2] En 1984, la Chambre d'Industrie et du Commerce des Etats-Unis évaluait a non-compliance à 15 billions de dollars.

[3] P. Ley (1981). Professional non compliance : a neglected problem. British Journal of Clinical Psychology, 20 (Pt3): 151-154.

     
La disparition progressive du terme "compliance" dans le champ des maladies chroniques

On observe une tendance dans le champ médical à remplacer le terme de "compliance" par celui "d'observance", notamment dans le domaine des maladies chroniques, là où les recherches sont le plus avancées en termes de contributions psycho-sociologiques, de modèles d'intervention et de pratiques soignantes. En effet, l'avancée des stratégies thérapeutiques dans le champ des maladies chroniques a permis deux innovations clefs en direction des patients : (1) la possibilité de vivre plus longtemps, (2) la possibilité d'être traité sur un mode ambulatoire donc à l'extérieur de l'hôpital.

Le malade, en sortant de l'hôpital, s'est retrouvé bénéficiaire d'une promesse thérapeutique forte et ce dans plusieurs pathologies comme par exemple la transplantation d'organes, le cancer, la dépression, les maladies maniaco-dépressives, le diabète, l'hypertension, l'asthme, l'infarctus du myocarde, la sclérose en plaques, l'épilepsie et l'infection à VIH. Mais c'est bien parce qu'il est sorti de l'hôpital que les soignants ont été confrontés à un nouveau phénomène, ce qu'ils ont appelé la non compliance, c'est à dire le fait que le malade ne suive pas les prescriptions médicales et ne prenne pas les médicaments en respectant les doses prescrites. L'usage même du terme de compliance employé en médecine jusqu'au milieu des années 80 montre à quel point le champ médical percevait le patient comme un être qui devait obéir et suivre les recommandations.

La référence toujours citée dans les travaux anglo-saxons lorsqu'il s'agit de définir le terme de compliance est celle de Haynes et al. [1]. Ils définissent la compliance comme " le degré jusqu'où le comportement du patient (en termes de prise des médicaments, de suivi des régimes alimentaires, de modification du style de vie) coïncide avec un avis médical ou une recommandation de santé qui lui a été prescrite ". Les auteurs qui avaient l'habitude d'utiliser le terme de compliance distinguaient généralement la non compliance primaire de la non compliance secondaire. La première mettait en jeu la volonté première du patient, la deuxième était considérée comme involontaire et désignait des phénomènes involontaires à priori comme les oublis de prise. Toute difficulté de compliance était attribuée au patient… jusqu'à l'explosion de recherches et d'études en sciences humaines et sociales dans le champ de la médecine et de la santé.
Dans les années 60, avec la sociologie interactionniste (Ecole de Chicago), c'est la nature de l'interaction médecin-patient qui est étudiée. De fait, le malade n'appartient plus seulement à la médecine. Il devient objet d'intérêt pour les sociologues, les psychologues, les anthropologues, les pédagogues et aussi pour les économistes [2]. Dans les années 80, des auteurs montrèrent aussi les difficultés de compliance des soignants face aux recommandations médicales [3]. On finit par admettre et démontrer que les croyances du médecin, ses préjugés positifs ou négatifs avaient aussi un impact sur les comportements des malades. La compliance n'était plus alors un facteur à attribuer seulement au patient, mais elle dépendait aussi de l'organisation du système de soin, de la relation médecin-patient.

 

La déconstruction du concept de patient…

Avec le développement des sciences sociales et comportementales dans le champ de la psychologie et de la sociologie de la santé, on assiste dans les trois dernières décennies à la déconstruction du concept de patient.
Celui-ci ne devait plus être considéré comme un individu passif auquel il fallait apprendre à suivre des ordres et à obéir (pour complaire). Il est devenu une personne douée d'intelligence, de motivations, de désirs et ayant aussi des besoins.
On a admis que les motivations, les représentations, les croyances du patient jouaient un rôle déterminant dans ses comportements de soin, de prévention et donc dans son degré d'observance thérapeutique. On construit des modèles explicatifs des comportements de santé comme le Health Belief Model [4], la théorie de l'action raisonnée [5]. Le patient n'est pas une identité en soi par défaut. Il est une personne ayant des attitudes et des comportements face à une maladie. Il endosse le rôle social de patient lorsqu'il est convoqué par le monde médical et hospitalier mais ce rôle n'est pas fixé ou déterminé à tout jamais.
Par ailleurs, le concept de patient n'est pas le même pour le médecin qui le traite, pour le système de soin qui l'inclut dans un cadre administratif, juridique et financier ou encore pour la société qui le réintègre ou au contraire l'exclut de l'usage des biens communs (le patient est un consommateur qui achète du soin, il est un bénéficiaire d'allocations éventuelles comme l'allocation adulte handicapé, il a des droits ou au contraire verra ses droits amputés, comme le droit à l'endettement, ou pourra se voir interdire l'exercice de certaines profession, quant par exemple il est atteint de maladies chroniques).
La déconstruction du concept de patient démontre que ce dernier n'appartient plus dans ses définitions seulement au monde médical. Ce n'est pas seulement la médecine qui construit le patient mais c'est la société toute entière qui définit les multiplicités d'existence du patient en lui attribuant un statut, une définition administrativo-médicale, un rôle attendu et une identité bio-clinique.

 

L'apparition dans l'infection par le VIH du terme anglais " adherence "

Dans le champ de l'infection par le VIH, la littérature anglosaxonne, sous l'influence des activistes, a remplacé le terme de "compliance" par "adherence" sans que l'on sache vraiment à quel auteur attribuer le premier usage du terme "adherence".
Dans le vocabulaire anglo-saxon, le passage d'un terme à l'autre a fait son apparition après l'arrivée des anti-protéases en 1997 [6] dans les premières études américaines mettant en évidence les difficultés des personnes séropositives à prendre des traitements dont les contraintes étaient à l'évidence trop lourdes (plus de 20 comprimés par jour, des dosages complexes comme une fois toutes les huit heures pour le Crixivan, des restrictions alimentaires et des recommandations d'hydratation).
De fait, si l'on consulte la liste des posters et des présentations faites lors de la 12ème Conférence internationale sur le SIDA qui s'est tenue à Genève en 1998, on note que la majorité des auteurs utilisent le terme d'adherence, ce qui n'était pas encore le cas dans leurs publications de l'année précédente [7]. On observe donc, grâce aux rencontres internationales fréquentes dans le champ du VIH, une mondialisation immédiate du terme "adherence" que chaque pays va tenter de traduire dans sa propre langue. Plusieurs pays vont garder le terme anglo-saxon "adherence" et se l'approprier (ex :aderencia en espagnol ou en portugais, sachant qu'en portugais est utilisé indifférement "aderencia" et "adesao").
On observe une tendance dans le milieu associatif français à utiliser le terme indifféremment adhérence et observance (ex : dernier bulletin d'information thérapeutique d'Act Up de mars 2004 où les deux termes sont utilisés dans deux articles différents.)

 

Adherence, adhésion, observance... chacun des termes comprend son degré d'impropriété

Le terme "adherence" ne peut pas se traduire littéralement en français par le terme "adhésion" qui a des connotations particulières dans la langue française. L'adhésion a pour synonymes l'approbation, le consentement. Son terme opposé est le mot "refus". Le verbe adhérer signifie l'action de devenir membre d'une organisation, il a une forte connotation d'affiliation et d'appartenance. Il va parfois de pair avec une inscription à une mutuelle, à un club de sport (ex : l'adhésion est gratuite, facultative, obligatoire). De même, si on tente de traduire du français à l'anglais le terme "adhésion", on n'obtient en aucun cas le terme adherence mais en premier lieu celui de membership [pour appartenance], et en deuxième lieu celui de support [pour soutien à une cause ("support for") ou à une opinion ("to support an opinion")].
Alain Abelhauser et al. (2001) [8] ont tenté d'apporter une contribution psychanalytique au débat compliance, observance, adhérence, adhésion en défendant l'usage du terme adhésion qui, selon eux, "met davantage l'accent sur cette 'dimension subjective'- sur le fait qu'un sujet doive y mettre du sien pour se prêter à ce qu'on lui demande".

Le terme "observance" de par ses connotations religieuses à l'origine ou juridiques dans son usage contemporain pose aussi question (observance et respect de la loi). A ce titre, l'expression " observance thérapeutique " en spécifiant le domaine dans lequel cette observance s'inscrit et se définit vient la détacher de la sphère juridique ou religieuse. Et il est impropre, même si nous en avons parfois fait usage nous-mêmes, de dire qu'une personne est observante ou non observante. L''observance n'est pas une identité et rien n'est jamais sûr. De même, selon nous, la mal-observance, terme de plus en plus utilisé, n'existe pas. Ce qui existe, ce sont des difficultés d'observance ou des ruptures d'observance soudaines ou progressives. Une personne à un moment X ou Y présente un degré d'observance faible, modéré ou élevé. Ce qui est important, c'est d'en explorer avec elles les raisons et de mettre à sa disposition les moyens appropriés à ses besoins en fonction de son projet.

En fait, chacun des termes comprend son degré d'impropriété, et il faudrait demander aux spécialistes du langage et de la sémantique de nous proposer un mot ou un concept fédérateur qui convienne aux professionnels des sciences médicales. Pour aller plus loin, il faudrait même disposer de deux termes : l'un qui s'attache à l'évaluation de la mesure de l'observance, l'autre qui s'attache aux processus en jeu dans l'observance en mettant l'accent sur les modèles d'intervention visant à aider ou soutenir les patients dans le suivi de leur soin et de leurs prescriptions médicales et médicamenteuses.

 

L'observance inclut l'adhésion mais ne s'y réduit pas

Le terme adhésion, s'il se justifie dans un travail de type psychanalytique, comme l'utilise Abelhauser en le tirant du côté de la subjectivité, ne rend pas compte, dans le champ de l'intervention psychosociale adaptée au monde du soin qui est le nôtre, des co-facteurs sociaux, culturels, cognitifs et comportementaux qui ont un impact sur les capacités d'une personne à prendre un traitement.
Notre expérience clinique nous a montré que si l'adhésion de la personne à son traitement est un facteur important dans la prise d'un traitement, il n'est pas forcément obligatoire ou ne constitue pas forcément le premier résultat à obtenir du patient. Elle nous a montré également que certaines personnes présentaient un degré faible d'adhésion à leur traitement alors qu'elles manifestaient un haut degré d'observance (ex : je ne suis pas d'accord mais je le prends parce qu'il faut le prendre ! je n'ai pas envie de le prendre mais je le prends !). De même, qu'une adhésion initiale faible ou haute lors de l'initialisation d'un traitement est parfois modifiée à l'issue des premiers résultats biologiques. Ainsi, chez certaines personnes qui présentaient un degré faible d'adhésion initiale au traitement ce dernier augmentait si leurs premiers résultats biologiques étaient bons. Inversement, chez les personnes qui présentaient un degré élevé d'adhésion initiale au traitement, ce dernier baissait si leurs résultats n'étaient pas ceux escomptés.
Par ailleurs, ce qui nous gêne dans l'utilisation du terme d'adhésion dans le champ médical, ce sont ses connotations d'engagement et son utilisation réductrice de type binaire : la personne adhère ou n'adhère pas… Avec ce terme, il n'y a pas place pour un milieu, du flou, des oscillations, des mouvements d'aller et retour... alors que les études sur l'observance démontrent, comme la pratique nous l'a enseigné en 1997 dès l'arrivée des antirétroviraux [9], qu'il s'agit d'une variable essentiellement dynamique qui fluctue au décours du temps et en fonction des évènements qui surviennent dans la vie de la personne.

 

L'observance thérapeutique : de l'intérêt d'une définition opérationnelle pour pouvoir agir

La nécessité d'une définition opérationnelle de l'observance nous est apparue lorsque nous avons voulu construire un modèle d'intervention utilisable par les professionnels du soin pour accompagner et soutenir en termes d'observance les personnes en traitement. Notre priorité n'était pas de développer un thésaurus de connaissances mais de développer des pratiques innovantes dans le champ de la prise en charge des personnes séropositives en traitement. Néanmoins, le passage de la théorie à la pratique nécessitait un choix d'usage dans les mots face à toutes ces notions émergentes dans le monde du VIH. Aussi, nous avons fait deux choses : (1) nous avons opté pour le terme d'observance thérapeutique, (2) et en avons créé une définition opérationnelle de manière à pouvoir construire un modèle d'intervention.
Il nous fallait en effet faire éclater le concept existant d'observance - construit par la littérature française pré et post-VIH sur le modèle de la définition générale de Haynes et Sackett - qui n'est autre qu'une définition de résultats. Autrement dit, il fallait nous décentrer d'une définition portant sur un résultat attendu " comportement selon lequel la personne prend son traitement médicamenteux avec l'assiduité et la régularité optimales, selon les conditions prescrites et expliquées par le médecin : suivi exact des modalités de prises médicamenteuses en termes de dosage, de forme, de voie d'administration, de quantité par prise et par jour, respect des intervalles entre les prises et des conditions spécifiques d'alimentation, de jeûne, de boissons ou de substances pouvant modifier la cinétique du traitement " [10] pour nous centrer sur les processus conduisant ou ne conduisant pas à ce résultat.

C'est ainsi que nous avons créé la définition opérationnelle suivante : "L'observance thérapeutique désigne les capacités d'une personne à prendre un traitement selon une prescription donnée. Ces capacités sont influencées positivement ou négativement par des co-facteurs cognitifs, émotionnels, sociaux et comportementaux qui interagissent entre eux. " [11].
Nous avons hésité entre le terme de compétences et celui de capacités et avons choisi ce dernier car dans la langue française le terme de " capacités " contient une dimension psychique que ne contient pas le terme " compétences ".
La prise en compte de 4 types de co-facteurs et de leurs interactions impliquait d'aller au delà d'un noyau d'éducation thérapeutique préalable indispensable mais insuffisant à la prise ou à la modification d'un traitement anti-rétroviral. L'accent mis sur l'interaction entre les co-facteurs se révèle dans la pratique pertinent et nous aurons l'occasion de documenter plus en avant les résultats. Nous avons en effet découvert que les résultats obtenus à l'issue d'une intervention sur deux ou trois types des co-facteurs avaient un impact sur le quatrième type de co-facteur sans que l'intervention ait besoin de l'aborder. Par exemple, si on aide une personne à se sentir mieux, et si on lui donne les moyens d'améliorer ses conditions de vie, elle va d'elle-même s'intéresser à son traitement et chercher à en apprendre le maniement. De manière différente, une personne à qui on donne accès à l'information va modifier ses représentations, et cela aura un effet dans ses comportements. La personne a l'impression de récupérer un sentiment de maîtrise sur ce qui se passe pour elle et en conséquence son niveau d'estime de soi augmente et en retour a pour effet de réduit une partie de ses états émotionnels négatifs, etc.

 

MOTHIV : un modèle d'intervention visant à permettre aux professionnels du soin à générer, soutenir ou maintenir le degré d'observance thérapeutique de leurs publics

La création de cette définition opérationnelle nous a permis de développer un modèle d'intervention, qu'en 2002 nous avons appelé MOTHIV [11], et qui, on l'aura compris, s'adresse à la partie dynamique la plus mobilisable dans un premier temps chez la personne.
C. Tourette-Turgis avait en effet observé dans sa pratique que certaines personnes avaient d'abord besoin de savoir pour agir, que d'autres avaient besoin qu'elle les aide d'abord à mettre en place des actions avant même qu'elles explorent ensemble leurs représentations, leur besoin d'informations et leurs attentes. D'autres encore ont parfois besoin d'être entendues dans ce qu'elles ressentent, à des degrés parfois très profonds, avant de commencer à penser à agir. Enfin, d'autres ont d'abord besoin qu'on travaille à l'amélioration de leurs conditions de vie pour qu'elles puissent ensuite se poser et s'interroger sur ce qu'il est important de savoir et de mettre en place pour prendre ou reprendre un traitement.

L'efficacité de MOTHIV a été prouvée à l'occasion de son premier développement et de son évaluation en 1999 en France dans trois Services du Centre Hospitalier Universitaire de Nice [12] sous la forme d'un essai randomisé à deux bras (groupe intervention (GI) / groupe témoins (GT)) comprenant chacun 244 patients en traitement antirétroviral. L'intervention auprès des patients du GI a consisté en quatre entretiens infirmiers de counseling sur six mois, à l'issue des consultations médicales; les patients du GT ont bénéficié d'un suivi médical traditionnel.

Notre counseling [13] accorde une importance majeure à la mise en place d'un climat d'écoute et d'entretien qui rompt littéralement avec la pratique médicale de l'interrogatoire, même si les infirmières qui le pratiquent disposent de guides d'entretien. Il est fondé sur l'établissement d'une relation dans laquelle l'empathie l'emporte sur l'autorité et le soutien sur le contrôle. Une de nos autres orientations principales dans MOTHIV se résume dans une formule simple : Parler d'observance ce n'est pas seulement parler de médicaments mais de la vie qui va avec !

Le choix du nom de MOTHIV est lié au fait que ce modèle s'appuie sur une théorie de la motivation, celle-ci n'étant pas pensée comme un trait statique assortie d'une vision binaire du monde du type : la personne est motivée ou n'est pas motivée dont on connaît les conséquences d'un tel usage dans le soin, notamment dans le domaine de l'addictologie où on attend que la personne soie motivée pour commencer le traitement ou le soin. Nous nous sommes appuyés en la matière sur les travaux de recherche et les modèles d'intervention de W.R Miller et S. Rollnick [14] dans le domaine de la santé et plus particulièrement dans le traitement des addictologies. Ces deux auteurs posent la motivation, en résumant leur concept central, comme une variable dynamique qui se génère et se maintient dans certaines conditions. La question de la motivation est donc bien une question à partager entre le patient et l'équipe de soin voire d'autres acteurs extérieurs au monde médical et non plus seulement une question qui relève du patient. Elle se pose sous la forme suivante : Que pouvons nous mettre en place ou aider à mettre en place, ici dans le service prescripteur ou ailleurs, pour générer, soutenir et maintenir la motivation au soin et au traitement de ce patient X ou Y ?
MOTHIV s'appuie aussi sur la théorie de l'incident critique développé par Flanagan [15]. Cette approche a l'intérêt d'anticiper les ruptures d'observance en déculpabilisant le patient à l'avance et surtout de le doter d'un savoir faire approprié en cas d'incidents dépendants ou indépendants de sa volonté.

Depuis son implantation sous la forme d'un essai clinique au CHU de Nice [16], nous avons monté en France ou aidé plusieurs équipes à monter leurs " consultations d'observance" : services de maladies infectieuses et tropicales du CHU de Fort de France à la Martinique (Dr. Cabié), de l'hôpital Marigot de Saint Martin des Caraïbes, du CHRU de Tours (Pr. Choutet et Pr. Besnier), de Hôpital Tenon sous l'impulsion du cadre infirmier Monique Gallais (Pr. Pialoux) et service d'immunologie de l'Hôpital Européen Georges Pompidou (Pr Kazatchkine). Un modèle a besoin de se développer, de s'implanter pour continuer à en faire vivre les valeurs qui le fondent et avancer les procédures pédagogiques qui l'étayent. Et à chaque fois que nous travaillons à des implantations de MOTHIV ou que nous faisons des appuis méthodologiques, les services avec lesquels nous travaillons en France ou à l'étranger (Maroc, Congo, Cambodge, Brésil) nous conduisent à ré-interroger la faisabilité, la pertinence, la pérennisation de notre modèle d'intervention et c'est vraiment passionnant pour toute l'équipe de Comment Dire. Parfois, les services nous amènent à leur proposer une adaptation de MOTHIV qui va elle-même nous amener à développer de nouveaux concepts et c'est ce qui s'est passé lorsque nous avons créé en 2002 le schéma et les outils de la consultation de préparation au traitement du CISIH de Martinique [17].

C'est en effet au cours d'une session de formation animée par C. Tourette-Turgis, que l'équipe du Service du Dr Cabié a décidé de développer un programme d'intervention de préparation au traitement. A cette époque, un nombre assez important de patientEs du service avaient commencé un traitement et à priori leurs résultats virologiques n'étaient pas bon, et dans certains cas les patientEs avaient été perduEs de vue. Cinquante personnes environ été nouvellement traitées par an. Ces 50 personnes correspondaient au demi-poste infirmier que le CHU Martinique allait pouvoir dégager pour ce nouveau type de consultation. Au même moment, l'accent commençait à être mis, qui s'est depuis confirmé [18,19], sur le rôle majeur d'un haut degré d'observance initiale (95% voire 100%) sur la réponse virologique et immunologique à 3 ans. C'est ainsi qu'elle a proposé à la Martinique que le protocole MOTHIV que nous allions mettre en place comprenne à titre expérimental une simulation de traitement d'une semaine. Les patientEs recevraient l'équivalent de leur traitement mais les molécules seraient des gélules de maïs ayant les mêmes couleurs que les médicaments réels qui leur seraient prescrits dans la réalité. Il s'agissait de leur permettre de se préparer à prendre leur traitement, de faire le point sur leurs besoins, et surtout de résoudre ou de préparer la résolution des problèmes qui surgiraient au cours de ce qu'on appelle le passage d'une séropositivité vécue sans traitement à une séropositivité vécue avec un traitement. C. Tourette-Turgis faisait l'hypothèse que la préparation, sans avoir à se préoccuper de la gestion des effets secondaires de médicaments réels, était déjà une expérience initiale suffisamment lourde pour la personne et devait donner lieu à un dispositif en soi. C'est donc à partir de ces deux éléments - la demande et le choix de l'équipe de centrer la consultation pour les personnes naïves de tout traitement et la nécessité d'un haut degré d'observance initiale qu'est né et s'est développé petit à petit dans son esprit le concept de primo-observance que nous avons repris et développé dans MOTHIV.

 

De la notion d'observance initiale au concept de primo-observance

Ce que nous entendons par primo-observance chez une personne séropositive ou atteinte d'une maladie chronique naïve de tout traitement (primo-traitée) est à la fois l'expérience initiale et l'aide sur un temps bref à la mobilisation de ses capacités à prendre un traitement selon le degré d'observance requis. Dans le cas de l'infection VIH, il s'agit de générer et soutenir chez les patientEs une primo-observance supérieure à 95% pour obtenir une efficacité thérapeutique immédiate et un succès virologique à plus long terme. La primo-observance requiert selon nous le développement d'une intervention intensive et bi-phasée comprenant une préparation au traitement avant la prise effective par le patient de son traitement [pouvant inclure une simulation avant de l'exposer à sa première rencontre avec le(s) médicament(s)] et un soutien de manière assidue durant les trois premiers mois de son traitement.

L'intervention conduite par le professionnel en charge de cette consultation comprend un travail sur l'auto-évaluation par la personne de son degré de préparation à la prise d'un traitement. Se sent-elle prête ou non à commencer un traitement ? Est-elle d'accord ou non avec la décision de son médecin ? Qu'en a-t-elle compris et perçu ? On voit bien qu'il y a déjà là matière à une écoute et au nouage d'une relation profonde entre la personne qui pratique ce type de counseling et la personne qui va commencer son traitement. Il y a un parti pris existentiel qui se partage. Se préparer, c'est traverser des doutes, des peurs, des colères. Le premier traitement réveille parfois les douleurs de l'annonce de la séropositivité, douleurs que la situation asymptômatique avait pu endormir.

De fait, et nous l'avons observé et vérifié à la Martinique, la simulation déjoue en elle-même beaucoup d'anxiété et réduit le stress du patient. Que se passe-t-il ? On essaie ensemble avec son conseiller, on s'essaie, on peut se tromper, faire des erreurs, on les étudie ensemble et on élabore des stratégies à partir de ces essais et erreurs. Les soignants eux-mêmes, sachant qu'il y a une période d'essai, sont moins stressés lorsqu'ils présentent les molécules aux patients. Ces derniers disposent d'un peu de temps pour distinguer ce qui ressort de la mise en place de routines de prise, ce qui ressort de l'impact de la prise d'un traitement dans leur vie familiale et professionnelle (où vont-ils le ranger ? comment faire pour le soustraire à la vue d'autrui ?...). Ils peuvent s'adonner à ces questions sans être incommodés par les effets secondaires telles que la diarrhée, les maux d'estomac, les vomissements, les nausées qui les affaiblissent dans leur initialisation. Ils peuvent garder le contrôle et être au mieux de leur forme pour régler les dernières dispositions relevant de l'entrée dans une autre phase de leur séropositivité.

 

Comment sait-on si une personne est prête à prendre un traitement ?

Des études, et plus récemment lors de la conférence internationale sur l'observance aux traitements antirétroviraux qui s'est tenue au Texas du 4 au 7 décembre 2003 plusieurs présentations posent de manière récurrente cette question. Un chercheur, le Dr. Enriquez [20], de l'université de North Carolina Chapell Hill, a présenté lors de cette rencontre un index de mesure du degré de préparation (readiness) du patient à un traitement qu'il a testé et réadapté auprès de 36 personnes en échec thérapeutique lié à des difficultés d'observance. Son étude montre que ceux qui atteignaient des scores plus élevés à son échelle de mesure du degré de préparation avaient de meilleurs résultats virologiques à six mois de reprise de traitement. Cet auteur en conclut qu'il faut développer des interventions visant à préparer les patients à la reprise d'un traitement après échec. Nous citons cette étude car il n'y a pas à notre connaissance d'outils de mesure du degré de préparation au premier traitement. Toutefois, il nous paraît plus raisonnable de développer des dispositifs qui soutiennent la préparation que de se fier à des outils prédictifs qui risqueraient de barrer l'accès au traitement à de multiples personnes en faisant de la lecture du degré de préparation une mesure statique comme c'est déjà le cas, et nous l'avons signalé, pour la motivation. Il est important ici de se rappeler des enseignements de la psychologie, à savoir qu'il n'y a pas forcément besoin de se sentir prêt à faire quelque chose pour commencer à le faire. Par contre quand on commence à le faire, on a souvent besoin de guidage et d'un certain type de présence à ses côtés.

Copyright 2004 by Counseling, Santé et Développement

 

[4] I.M. Rosenstock (1974). The Health Belief Model and Preventive Health Behavior, Health Education Monographs, 2: 35-86.

[5] I. Ajzen, M. Fishbein (1970). The prediction of behaviour from attitudinal and normative beliefs. Journal of personality and Social Psychology, 6: 466-487.

 

 

 

 

 

 

 

 

[6] M. Crespo-Fierro (1997). Compliance/Adherence and Care management in HIV Disease,
Journal of the Association of Nurses in AIDS Care, 8 (4): 43-54.
[abstract]

 

[7] M.A. Chesney (1997). Compliance : how you can help ? HIVNewlines, June: 67-72.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

[8] A. Abelhauser, A. Lévy, F. Laska, S. Weill-Philippe (2001). Le temps de l'adhésion.
In : In C.Bungener, M. Morin, M., Souteyrand (Eds.) L'observance aux traitements contre le VIH/sida : Mesure, déterminants, évolution. Collection Sciences Sociales et SIDA, ANRS, Décembre 2001 :
79-86

 

 

 

[9] C. Tourette-Turgis (1997) L'infection VIH et les trithérapies: Guide de counseling.
Ed. Comment Dire.
[texte intégral]

 

 

 

[10] J.F. Delfraissy (sous la direction de) (2002). Prise en charge des personnes infectées par le VIH. Rapport 2002. Recommandations du groupe d'experts. (chap. 7, p. 75). Ed. Flammarion. [texte complet]

 

[11] C. Tourette-Turgis., M. Rébillon (2002). Mettre en place une consultation d'observance aux traitements contre le VIH/SIDA , De la théorie à la pratique. Ed. Comment Dire.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

[11] C. Tourette-Turgis., M. Rébillon (2002). Ib.

 

 

 

[12] C. Pradier , L. Bentz, B. Spire, C. Tourette-Turgis, M. Morin, M. Souville, M. Rebillon, J-G. Fuzibet, A. Pesce, P. Dellamonica, J-P. Moatti (2003). Efficacy of an Educational and Counseling Intervention on Adherence to Highly Active Antiretroviral Therapy: French Prospective Controlled Study. HIV Clinical Trials, 4 (2): 121 - 131. [abstract]

[13] C. Tourette-Turgis C. (1996). Le counseling, Ed. PUF, Coll. Que Sais Je ? N° 3133.


 

 

 

 

 

[14] W R.Miller, S.Rollnick (1991). Motivational Interviewing. The Guilford Press (second edition, 2002).

 

 

 

[15] J. Flanagan (1954). The critical incident technique . Psychological Bulletin, 51 (4): 327-358.

[16] L. Bentz, C. Pradier, C. Tourette-Turgis, M. Morin, M. Rébillon, M. Souville J. Scherer P. Dellamonica (2001) : Description et évaluation d'un programme d'intervention sur l'observance thérapeutique (counseling) dans un centre hospitalo-universitaire, In C.Bungener, M. Morin, M., Souteyrand (Eds.) L'observance aux traitements contre le VIH/sida : Mesure, déterminants, évolution. Coll. Sciences Sociales et SIDA, ANRS, déc. 2001: 99-112.

[17] V. Beaujolais, C. Tourette-Turgis, J. Guinvanna, S. Abel, B. Liautaud, A. Cabié. (2004). Counseling and Adherence initiative for HIV/AIDS patients in Martinique. A multicultural Caribbean United Against HIV/AIDS, Santo Domingo, 5-6-7 mars 2004. (communication orale) [ppt]

[18] M.P. Carrieri, F. Raffi, C. Lewden, et al. (2003). Impact of early versus late adherence to highly active antiretroviral therapy on immuno-virological response: a 3-year follow-up study. Antiviral Therapy, 8 (6): 585-594. [abstract]

[19] B. Spire. (2004). Faut-il rester 100 % observant ? RePI d'Act Up, Toulouse, France, 18 février 2004 [Communication orale].

 

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