la
prévention de l'infection par le VIH
C'est à la lumière des études montrant une augmentation des MST et un doublement des cas de contamination VIH chez les homosexuels de San Francisco (le nombre de nouvelles infections en l'an 2000 est estimé de 750 à 900) que la San Francisco AIDS Foundation a décidé de lancer en février 2001 la phase II de sa campagne multi-annuelle de prévention qui se terminera en juillet 2001. Cette campagne (1) s'adresse d'une manière plus directe à la communauté gay qui continue d'être la communauté la plus exposée à l'infection à VIH. Selon David Indest, directeur du département de prévention à la San Francisco AIDS Foundation, l'objectif de cette campagne, dans la lignée de sa phase I , est "de provoquer un phénomène de conscientisation chez les hommes en les invitant à remettre en question les suppositions qu'ils font pour ne pas se protéger". Différents visuels mettent en scène, et de manière à ce que les hommes se reconnaissent, les scénarios sexuels qui les exposent le plus à un risque de contaminations en raison des suppositions qu'ils font sur le statut sérologiques de leur(s) partenaire(s). Par exemple, une affiche met en scène deux hommes, l'un d'entre eux se disant "Il me le dirait s'il était négatif " pendant que l'autre se dit "Il me le dirait s'il était positif ". Une autre affiche énonce "Je ne l'ai pas encore attrapé, je dois donc être immunisé ". D'autres suppositions font explicitement référence aux "allant de soi " présents dans certaines pratiques sexuelles comme "C'est un top, les tops ne peuvent pas l'attraper " ou bien encore "Les tops qui font du barebacking sont sûrement négatifs ". La campagne, en plus d'être explicite dans le choix de ses visuels (photos noirs et blancs évoquant l'imminence de rapports sexuels avec pénétration entre hommes), répète et décline un message sous forme de question directe : How do you know what you know ? pouvant être traduit par : Comment savez-vous ce que vous savez ? Utilisant tous les supports et tous les espaces de communication possibles (abris de bus, journaux communautaires), elle est déclinée sous forme de brochures mis à disposition dans les bars et d'affiches fluorescentes lisibles dans les toilettes des bars la nuit. Elle est également accompagnée de la création de nouveaux programmes ou services qui prennent en compte les réelles préoccupations de la communauté homosexuelle. Comme l'explique David Indest, "on a mis en place de nouveaux groupes de paroles ou des ateliers abordant des thèmes qui préoccupent vraiment les hommes gays et bisexuels : comment vivre avec la personne que l'on aime ? comment démarrer une relation ? comment se sentir désiré et séduisant malgré l'âge ou un traitement anti-VIH ? comment traverser une déception amoureuse ? comment se sortir de la consommation de drogues récréatives ? comment bien vivre sa sexualité et ses fantasmes ? comment bien vivre son homosexualité ? … Il va de soi que si on ouvrait un atelier sur "comment utiliser un préservatif ? " ou seulement centré sur la prévention du VIH, personne ne viendrait… Les homosexuels ne veulent plus qu'on les infantilise de cette manière. …Nous avons refait tous nos programmes de prévention ! " " Relapse " ou " barebacking " ? Cette campagne de prévention intervient donc dans un contexte d'augmentation des cas de nouvelles contaminations et de relâchement de la prévention que certains attribuent à une modification dans la perception des risques concomitante à l'arrivée des traitements. D'autres, comme F. Lert (2) discute les conclusions et les liens directs trop rapides qui peuvent être fait entre l'arrivée des traitements et le relâchement de la prévention. S'il existe une réelle augmentation des MST et des contaminations VIH chez les hommes homosexuels, cela peut être attribué à une modification dans la perception des risques liée aux traitements. Mais cela peut être aussi tout autant le résultat de plusieurs facteurs comme la démobilisation générale à l'égard de l'infection à VIH, les modifications dans les styles de vie socio-sexuels des homosexuels, la réduction drastique des budgets et donc des programmes de prévention de l'infection à VIH, la marginalisation et la précarisation de certains sous-groupes d'homosexuels, les changements dans le contexte socio-politique en général par exemple la reprise de la croissance économique. Elle intervient également dans un contexte où l'utilisation du concept de "relapse" dans la prévention du VIH est remis en question par certains acteurs et où doit être pris en compte le phénomène de "barebacking". Le recours au concept de "relapse", depuis quelques années déjà dans la prévention de l'infection VIH, ne fait en effet pas l'unanimité dans le milieu de la prévention auprès des homosexuels. Ce terme, apparu pour la première fois dans les années 1985 (3) pour décrire la rechute des personnes en traitement souffrant d'une pathologie relevant de l'addiction (alcool, tabac, usage de drogue) est vivement critiqué : "C'est comme si on associait le fait d'avoir des rapports sexuels non protégés à une rechute égale à la reprise du tabac ou de la drogue après traitement. En tant qu'acteur de prévention, cela me pose problème ! " (D. Indest, interview du 11 avril 2001) Le terme "barebacking", issu du vocabulaire de l'équitation ("monter à cheval sans selle et sans étrier"), est apparu quant à lui en 1997 sur plusieurs sites Internet, au même moment, pour signifier le fait d'avoir un rapport sexuel anal sans utiliser de préservatif. Il s'agissait d'annonces et d'invitations pour participer à des parties de "barebacking" suivant plusieurs options : les rencontres réservées aux hommes séronégatifs, les autres réservées aux hommes séropositifs, les rencontres appelées " roulettes russes", "conversions", etc. Récemment, sous la pression d'une partie de la communauté gay et des acteurs de prévention, de nombreux sites Internet ont fermé leur salon virtuel de "barebacking". La prévention à l'épreuve du " Barebacking " N. Sheon et A.Plant (4), dans leur synthèse sur les courants d'analyse du phénomène "barebacking " résument les points de débats et de discussions en cours sur ce thème. La prévention aurait négligé la prise en compte de ce que l'histoire a déjà montré : l'impossible régulation des comportements sexuels. Des auteurs (5) voient dans le "bareback " une réaction aux traumas successifs produits l'épidémie et constitués par les deuils, le haut degré de stigmatisation et d'homophobie sociale. Dans la même lignée, E. Rofes (6) montre qu'à l'instar de l'holocauste nazi et d'Hiroshima, on observe des conduites d'auto-destruction dans les décades suivant la fin de l'horreur. Selon N. Sheon, le discours préventif a eu tendance pendant trop d'années à associer la sexualité anale à une attitude négative, à un péché voire à un meurtre jusqu'à en taire totalement les dimensions d'intimité et de plaisir. De son avis, le "barebaking" y compris son cortège d'extravagance, ne serait qu'une réponse en miroir à "la grande hystérie présente au cœur des discours de prévention". Le "barebacking" est
de fait un phénomène très complexe. Selon nous, il fera partie tout autant
de l'histoire de la communauté homosexuelle que de l'histoire de l'infection
à VIH. En effet, depuis l'arrivée des traitements et la baisse des décès,
la communauté gay tente de reconquérir son identité et de poursuivre l'histoire
de son développement. Ayant toujours été avant-gardiste dans la poursuite
de l'histoire de la libération sexuelle, la communauté gay a besoin de
se libérer des discours mortifères qui ont été tenus pendant près de 15
ans sur la sexualité anale. En termes de prévention, le phénomène du "barebacking"
nous rappelle l'importance à prendre en compte ce qui est au cœur des
comportements sexuels : la poursuite du plaisir dans un cadre permettant
une profonde intimité corporelle. Y renoncer, au nom de la prévention,
est difficile et nécessite des ajustements qui ne sont pas évidents. Faire
de la prévention en milieu gay requiert des compétences qui sont rarement
enseignées dans les écoles de santé publique.
(1) Les visuels de la phase 1 et la description de chaque phase de la campagne sont disponibles sur la site http://www.gaylife.org/ (2) Lert F. (2000). Advances in HIV treatment and prevention : should treatment optimism lead to prevention pessimism ? AIDS CARE, Vol. 12, n° 6, pp. 745-755. (3) Marlatt G.A. & Gordon J.R. (Eds). (1985). Relapse prevention: Maintenance strategies in the treatment of addictive behaviors. New York: Guilford Press. (4) Sheon N., Plant A. (2000). Protease Dis-Inhibitors ? The Gay Bareback phenomenon. http://www.managingdesire.org/sexpanic/ProteaseDisInhibitors.html (5) Odets W. (1995). In the Shadow of the Epidemic: Being Negative in the Age of AIDS. Duke University Press. (6) Rofes Eric.E. (1995). Reviving the Tribe: Regenerating Gay Men's Sexuality and Culture in the Ongoing Epidemic. Haworth Gay & Lesbian Studies. |